Vendredi 06 février 2009
7 h du mat sur mon vélo, j’arrive à Concorde pour prendre un car qui pourrait facilement s’appeler « Venus Beauté » tant il est plein de séduisantes personnes. Quoiqu’à cette heure matinale, dans la grisaille du matin, tout le monde a l’air assez fade et quotidien. Mannequins, maquilleuses, coiffeuses ainsi que chaperons… on est une vingtaine et pendant que ma voisine Vanessa révise son cours de naturothérapie, je me laisse emporter aux pays de Morphée par les berceuses pop de mon Ipod.
En me réveillant, une flèche indique « Clos Lucé »… on est à deux pas d’Amboise, presque arrivés à destination.
Et je réalise que j’ai fait un mauvais rêve, que j’avais fait bel et bien fait tout ce trajet, 3 heures durant, mais que j’étais revenue à la case départ ! Et la place de la Concorde me filait brusquement le vertige.
Mais non, il suffit de lever la tête : notre point de chute se détache avec majesté à l’horizon. C’est ce castel qui surplombe la ville et que toute une sarabande dont je fais partie rejoint par un chemin serpenté. Comme une lente procession vers le rêve.
D’ici, ce lieu magique pourrait dater de la fin du 18è siècle, avec ses pierres de taille et sa tourelle… mais une fois à l’intérieur, on est épatés par ses volumes très contemporains et surtout par son incroyable structure Gustave Eiffel. Normal, c’était la maison d’un artiste. Et au cas où lon en douterait, deux palettes ont été insérées dans la structure métallique de Monsieur Eiffel !
Et comme les lieux sont habités par une amoureuse de l’art, on croise quelques œuvres contemporaines ici et là, dehors ou dedans : un pot de Raynaud, un César, un Sophie Calle… C’est un espace idéal pour un tournage, pour faire des photos ou tout simplement pour une exposition.
Toute l’équipe de Be Contemporary est là pour une série de mode… séjour, salle de bain, chambre, cuisine et autres placards… toute la maison est envahie par une horde de gens qu’on s’apprête à magnifier pour une série de mode pour le magazine. C’est le numéro de mars. A l’issue de cette journée marathon, on obtiendra 6 photos à glisser dans un magazine d’art qui laisse largement les artistes s’exprimer dans ses pages.
Cette fois, c’est l’artiste Chinois Wang Qing Song qui est le DA de la série de mode. Chacune des mises en scènes et des allégories qu’il a imaginé prennent pour cadre une pièce de la maison. Inspirées de chefs d’œuvres connus, toutes ces images trempent en réalité dans le réalisme social. A travers toutes ces images et leur inquiétante beauté, on est en fait renvoyés au développement de la Chine Moderne, à la gestion de son économie, ses débordements socio-politiques et sa tendance à s’inspirer actuellement du modèle occidental… alors que justement le Capitalisme dans le monde Occidental n’en finit pas, ces dernières années, de prouver son inefficacité à long terme. Au public d’en tirer ses propres conclusions.
Wang Qing Song nous entraîne donc dans une série de mode où la légèreté de l’être côtoie la gravité socio-économique.
Et peu de gens dans cette maison semblent réellement conscients de cette gravité. Certains sont là pour incarner les rôles qu’on leur demande de jouer pour ses images, d’autres, débordés par la beauté des créatures présentes, sont là pour les contempler. Les réflexions seront pour plus tard.
Tout le monde est plutôt absorbés par les paillettes, pris dans le stress d’un bouton qui risque de craquer sur une robe qui n’est pas à la bonne taille, emerveillés par toute ces splendeurs… et moi avec.
Dans la salle principale, une longue table en miroir d’environ 6 mètres est dressée. Derrière, 3 ou 4 m plus haut, Franck s’attarde sur le rideau, vérifie son plissé et sa tenue. C’est pas le régisseur, mais un ami de la maîtresse de maison. Installé sur son échelle, sous la magnifique structure Eiffel que je n’en finis d’admirer, il tend comme il peut le rideau et d’incroyables perspectives se dessinent pendant ce temps dans la table-miroir.
Dans la salle de maquillage, la salle de coiffure, dans la salle de bains, dans les chambres, sur la mezzanine… les mannequins se laissent manipuler comme des poupées tout en envoyant des sms, ou en bouquinant entre deux prises…
Xavier, un ami de Frank s’est improvisé reporter, il filme tout cela tout en espérant bien repartir avec un ou deux numéros de téléphone.
Et Tamara, la styliste structure un peu ce petit monde. Parmi les modèles, il y a toutes sortes de personnages, plus de femmes que d’hommes. Certains personnages sortent du lot comme cette plantureuse fille, gorgée de vie qui casse le cliché du mannequin-brindille avec ses formes plus que rondes et son poids qui dépasse sans doute les 100 kg… mais tout cela n’enlève rien à son charisme et sa beauté.
Mais ce n’est pas elle qui portera pourtant les tenues Dior historiques prêtées par John Galliano. Là, il faut des silhouettes qui avoisinent le 34… et encore. Et Soizic veille avec amour et attention sur ces précieuses parures des eighties que l‘on verrait bien au musée. Il y a notamment une combinaison de cuir magnifique qui a l’air tout droit issue du monde médiéval. Le buste a l’air d’une armure, tout en pans de cuir. Un côté martial qui se mèle à la la majesté aérienne de l’aigle. Chaque fois que le mannequin lève les bras, ses deux grandes ailes que sont ses bras se déploient avec une élégance rare. En voyant cette tenue, je comprends mieux ce que signifie un vêtement beau sous toutes ses coutures. Quel que soit le point de vue adopté, on ne peut résister à son allure, sa grâce et sa beauté.
C’est une tenue hallucinante qui force le respect et nous transporte.
Côté face, elle a l’air dessiné sur le mannequin androgyne qui le porte avec grâce. Côté pile, scotch et autres astuces tiennent le tout.
Et ça fera une magnifique photo en extérieur, devant une fenêtre arquée du château… si personne n’imagine retourner l’image, elle sera parfaite. Mais qui s’intéresse à l’envers du décor ?
Une autre tenue avec une sorte de bijou-minerve métallique donne l’impression d’être face à une impériale Reine de Saba. Tout cela est irréel.
Et pendant que toutes ces séquences défilent, que tout ce petit monde fourmille, s’apprête, change de tenue, se démaquille, se remaquille, rafistole une tenue pas assez seyante, change de chaussures, enfile des bas, clipse son porte-jarretelles, retire son panty, remet un string, glisse quelques plumes dans le colleté, puis finalement les retire… boit un coup, se laisse capturer par l’objectif… pendant que les appareils photos s’arment et se désarment, que le désir de certain remonte pendant que la fatigue des autres augment… bref, pendant que tous les flashs crépitent et que toute la chorégraphie habituelle d’une série de mode se met en place dans une maison envahie par 40 inconnus voués aux plaisirs d’une belle image… Pendant ce temps, un mec reste impassible. Pendant tout le shooting, quand on regarde dans sa direction, on a le sentiment d’être transportés ailleurs. On le jurerait tout seul, dans son rocking-chair au coin du feu, en train de bouquiner tranquillement. Impertubable. Aveugle et sourd à toutes ces filles qui se baladent en petite tenue devant lui.
Une seule chose pourrait lui tirer le nez de sa lecture sur les grandes batailles de l’histoire : que sa femme perde les eaux. Oui, car l’un mannequin attend un heureux événement et n’est pas loin d’être à terme.
Et son ventre se découvre d’autant plus sur la dernière photo où l’artiste a choisi de mettre en scène les trafics alimentaires de la Chine et notamment l’épisode lié au scandale du lait en poudre frelaté qui a empoisonné des nouveaux-nés. Pour cette photo, Wang Qing Song oppose la nature à la culture et offre une solution : rien de mieux que le lait maternel ! Pour cela, sur la table en miroir, au milieu des flaques de lait, à la manière de la Cène, il a rassemblé une série de femmes en petites tenues dont les seins nus se dédoublent sur la table en miroir. Ça a l’air d’un cliché, on réutilise une fois de plus cet épisode biblique de la Cène, du Christ entouré de ses apôtres et de Judas. Et Judas, ici, qui est-il ? L’artiste a bien voulu jouer le rôle ! A nous de trouver qui il incarne réellement. Le démon qui est en chacun de nous ? La course au profits dans cette société prête à sacrifier son prochain pour défendre ses intérêts. Wang Qing Song s’est mis en scène au milieu de toutes ces femmes qui incarnent la pureté, la beauté, la sensualité… bref, l’amour. Il est lui, posté non loin d’elles, en position de vampire, avec des pansements ensanglantés sur les tétons. Prête à dévorer ce qu’elles ont de plus beau et de plus chèr en elles… c’est sur cette image qui fait froid dans le dos que la série se termine. Tout le monde est épuisée.
Dehors, la nuit est tombée. Le travail est terminé et la maison légèrement dévastée. Le car nous attend. Je m’endors jusque Paris. Heureuse d’avoir assisté à la mise en place de toutes ces photographies, d’avoir assisté à un shooting aussi long que passionnant dans cette fabuleuse maison près d’Amboise. D’avoir pu voir le monde de la mode et de l’art se croiser une fois de plus. D’avoir entendu ce tintement, ce léger choc entre les deux mondes, une fois de plus. D’avoir constaté que parfois, entre art et mode, il y avait ce conflit d’intérêts et c’est ce qui fait tout le sel de ces séries de mode réalisées par des artistes. Car malgré tout, derrière le glossy des images, il y a aussi les souffrances d’une société. L’artiste est le plus souvent du côté de l’engagement social quand la série de mode, elle, n’est là que pour séduire et vendre des vêtements, des images, une certaine idée du bonheur.
Wang Qing Song nous a offert d’une seule traite les deux faces d’un même monde, le recto et le verso des images. La beauté et la laideur du monde à l’unisson, gravés sur la même pellicule. Pour rien au monde, je n’aurais voulu rater ça. Et s’il faut revenir, j’y reviendrai.
mercredi 29 juillet 2009
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