Mercredi 13 février
Après ma soirée très athlétique d’hier, j’ai décidé de m’inscrire à un cours d’Aérobic Philosophique avec Mano : le samedi 16 à 16h… sounds good, je sens que ce sera 16…sissant!
Par contre non, Véronique et Davina ne se sont pas mises à la philo, et je ne sais pas si, en pleine période de Tecktonik, leur système de décryogénisation est déjà enclenché.
Tout ce que je sais, c’est que j’ai besoin de rebooster ma forme, d’entretenir la mécanique physique et décompresser mes neurones… en déclamant du Nietzche. Bref, redevenir corps, quitter l’esprit… redevenir corps, quitter l’esprit, quitter l’ esprit, s’ancrer dans le corps. Etre chair et sang.
«Je suis corps tout entier et rien d'autre; l'âme n'est qu'un mot désignant une parcelle du corps.»… Ainsi parlait Zarathoustra !
Ahhhhh… Friedrich ! Est-ce bien raisonnable ? Es-tu sûr que l’on ne soit que corps ?
Tout en cherchant mes guètres multicolores et mon body bleu électrique des eighties, je me concentre sur une autre de ces phrases qui m’amuse davantage: «L'homme véritable veut deux choses : le danger et le jeu. C'est pourquoi il veut la femme, le jouet le plus dangereux.»… hmmmm, Friedrich, qui a donc joué le rôle du jouet entre tes mains ?
Enfin… du Nietzche ! Et pour les fans de Heidegger, patience, ce sera pour la séance d’après.
Bon, évidemment, ce genre de remise en forme fondamentale ne se passe pas au Gymnase Club, mais à la Galerie Vanessa Quang !
Et le prof de ce nouveau sport s’appelle Pascal Lièvre. J’ai ouï dire qu’il n’avait qu’un désir en instituant ce cours : rendre la philo plus bandante. Banderai-je pour Nietzsche samedi 16 à 16h ? En tout cas, JE VEUX ! N’est-ce pas Friedrich, encore lui, toujours lui, qui disait « Vouloir libère » ? A moins que ce ne soit Zarathoustra !
Et c’est au Palais de Tok que je me rends pour me libérer justement. Plus que de me plonger dans la foule, je rêve d’un bain de champagne noir géant. Mais, hélàs, le champagne n’est pas noir comme prévu… pour des histoires de Droit.
Il est resté doré et on se l’arrache quoiqu’il en soit au prix de l’or. Par contre, tout pétille bel et bien pour le pré-vernissage de l’expo perso de Loris Gréaud, « Cellar Door ».
Expo plus qu’attendue et dans laquelle je me sens comme un petit comprimé effervescent expédié dans la voix lactée, une gélule qui se distille et s’émoustille dans l’atmosphère à l’infini.
Un filet de son m’attire d’ailleurs vers le centre de l’expo.
Au carrefour de toutes les salles, un bonbon au goût d’illusion sur le bout de ma langue, j’arrive au cœur d’une audience. Et comme souvent, j’ai l’impression d’arriver au cœur d’un mariage familial. Je reconnais tous ces visages… Tiens, au loin, je crois même apercevoir Tante Glycéro et Oncle TrucMuche. Long time no see. Et la branche Suisse de la famille est elle aussi présente en grandes pompes… les cousines dissipées papotent au dernier rang mais il y a du solennel dans l’air. Les salutations seront pour plus tard et c’est très bien.
Pour l’heure, on se tait et on se concentre sur un concert sur moquette géodésique qui vous entraîne de toute façon très naturellement dans ses sillons.
Pendus à l’organe vibrant d’une sémillante Soprane Anglaise, guidés par ses volutes sonores, on est précipités au centre d’une intrigue sidérante. A la crête d’un suspens bien orchestré. On est comme une armée d’aveugles qu’elle éclaire de sa voix. Une voix que l’orchestre qui l’entoure suit de près.
Lyres, violes et violons, flûtes et haut-bois… résonnez musettes. La voix de la chanteuse ainsi que tous les instruments qui l’accompagnent deviennent l’armature de cette exposition. Toute cette matière sonore devient un fluide invisible qui construit des personnages, dessine des lieux. C’est une partition qui nous sert de mode d’emploi, au propre comme au figuré. Ce n’est pas un concert, c’est une mise-en-scène sonore.
Voix de cartoon ou de diva. Méchante sorcière ou Magicienne lyrique… on oscille entre Star Wars et Tim Burton. On divague entre le Magicien d’Oz mâtiné d’un Harry Potter en pleine partie de Quidditch. On s’imagine hanté par Mary Shelley, traversé par Edgar Allan Poe. On se balade sur le timbre d’une voix qui nous emporte où bon lui semble, note par note, quitte à faire naître le frisson.
C’est un opéra de Thomas Roussel, un jeune compositeur spécialisé dans le cinéma, composé exclusivement pour l’expo de Loris Gréaud.
L’un est donc magicien, et l’autre illusionniste. J’imagine qu’ils sont l’un comme l’autre aussi en vue que jalousés. Il y a toujours cette rançon du succès qu’il faut savoir affronter sans ciller.
Partout où l’on passe, Gréaud est devenu l’homme de moins de 30 ans qui prend possession du Palais de Tokyo… soit des m2 et des m2 de superficie qui font rêver… mais qui divisés par 28 ans font mal aux boyaux des plus aigris. On le prend pour un phénomène, un prodige… etc. 28 ans, c’est pourtant pas si jeune ! Et à croire que c’est défendu d’être brillant. Personne n’a reproché à Mozart d’être un virtuose. Si ?
Arbres cramés, atmosphère nocturne… c’est un climat cinématographique pénétrant. On a comme le sentiment de se promener à pas feutrés dans une forêt la nuit. Mais ce n’est pas n’importe quelle forêt, c’est une forêt lunaire.
Et en bord de lune, on prend le M46 comme couleur fétiche : une couleur ou plutôt une tonalité cosmique inventée par l’artiste lui-même et qui reprend, étoile par étoile, les vibrations luminescentes d’une constellation entière.
Il y a aussi un film qui se déclenche quand on n’est pas là… mais dont le faisceau cathodique agit chaleureusement sur nos consciences, et comme un spectre lumineux, il imprime de loin la rétine.
Mais soudain, dans cet infini boisé, quelque chose crépite et vient troubler l’apparente sérénité des lieux. Ce sont les joueurs de Paintball qui se mitraillent de M46 derrière un grillage et font, en passant, un clin d’œil à Yves Klein et à ses tableaux peints à coups de pistolet intempestifs. On pense aussi à Pierre Joseph et ses « Personnages à Réactiver » des nineties, aux conte de fées, aux jeux vidéo, un screen saver bloqué sur une attaque picturale…. Un joli raccourci référentiel. Subjectif et personnel.
Une faille temporelle. Il y a d’ailleurs une autre déchirure chronologique dans l’expo et elle est de taille.
Il fallait y penser, c’est un copié-collé ou presque : la reconstitution de la première expo perso de l’artiste à Paris, au « Plateau ». De quand date-t-elle déjà? 2004 ? 2005 ? Qui joue à sans cesse dérégler l’espace-temps ? Nous sommes donc de retour au « Plateau » en direct du Palais de Tokyo. A voir et revoir.
Pour ceux qui ont raté cet épisode, ils ont ici la joie de le découvrir.
Pour ceux qui l’ont vu et qui auraient des trous de mémoire, ceux qui doivent fouiller dans leur souvenir pour, par exemple, se remémorer s’il y avait oui ou non un canard dans le bassin… ils peuvent toujours goûter au cresson reboosté qui s’épanche dans les pots et croît à la vitesse de la lumière… c’est bon pour ce qu’ils ont. Et sinon, ils ont les partitions à chaque nouvelle séquence d’expo. Il y a de quoi se laisser absorber, se laisser vivre.
C’est ce que j’ai fait car « Cellar Door » peut se vivre à de multiples degrés. En ON ou en OFF. Ça fait partie du jeu.
On tire à pile ou face les séquences de l’expo en quelque sorte. C’est une balade atmosphérique dans l’inconnu. Des néons, Des trucs prêts à exploser, des portes secrètes… on sent qu’on n’a pas toujours toutes les clés de l’histoire mais on sait qu’à chaque nouveau voyage, la « Cellar Door » s’ouvre sur un nouveau territoire, nous éclaire sur une nouvelle facette de l’aventure artistique… L’expo voyage ensuite à l’ICA à Londres en avril-mai !
J’espère que j’aurais l’occasion de revivre l’expérience en d’autres lieux.
En attendant, il s’agit de batailler pour entrer au « Tokyo Eat » et assister à un dîner où l’on est invité !! T’as le bristol/ T’as pas le bristol. Ça tourne en boucle à l’entrée des expos!
OK, on a le carton d’invitation nominatif mais la concierge à l’accueil nous met quand même à l’amende : il fallait renvoyer le RSVP ! Comme si on n’avait que ça à faire que de se concentrer sur les RSVP de toutes les expos où l’on est invités. Et plus ça va et plus les RSVP sont écrits en pattes de mouches tout à la fin en minuscules. Il faudrait se munir d’une loupe pour les voir.
On a même écrit 12 articles sur l’expo avant et on en écrira 12 sûrement aussi après + la radio + la télé + le net. Mais ça ne change rien, la gardienne-en-chef de l’entrée ne veut rien savoir ! Même Marc-Olivier Wahler, le directeur des lieux, nous abandonne en nous disant qu’il ne peut rien faire pour nous. Vraiment ? Comment est-ce possible ? Heureusement, Loris suivie d’Olivier Belot, de la galerie Yvon Lambert, viennent à ma rescousse.
C’est un sport la critique d’art ! On a sans cesse besoin de renfort ! Il faut avoir des muscles, des nerfs solides, des neurones bien boostés et de l’entregent… et même là, vous n’êtes pas sûr de pouvoir faire tomber tous les obstacles inutiles qu’on met sur votre chemin pour vous faire perdre du temps et de l’énergie. Une armée d’energy killers est toujours prête à partir !
Est-ce un sport ou la guerre, d’ailleurs ? Le dîner en lui-même en dit long ! A cette table que je partage avec d’autres critiques, ça démarre très tranquillement. On discute avec Thomas Roussel, le compositeur. C’est harmonieux et constructif.
Puis d’un coup, on sent que des fauves se mettent à piétiner dans leur cage, des coups de griffe se perdent dans l’atmosphère.
Saad Afif passe, un sourire Berlinois aux lèvres. Et finalement, il s’installe momentanément à notre table, tout en douceur. On s’imagine qu’il recherche notre compagnie. Pas du tout, c’est Henri-François Debailleux de Libération et l’odeur du sang qui l’attire. Il est question de Biennale et de lions, et ça rugit sec. Table 15 : le temps est désormais à l’orage. On en est aux réglements de comptes, entre la poire et le fromage.
Coupable Debailleux, levez-vous ! Il en est de votre responsabilité de journaliste. S’il y avait un bâtonnier gardien de cette fonction journalistique, votre dossier aurait alors été examiné à la demande de Monsieur Saadane Afif, artiste de son état.
Saad Afif vous accuse d’avoir porté atteinte à son travail artistique et à ses choix individuels, d’avoir par ignorance ou inadvertance propagé de fausses informations, et cela à travers un article écrit dans Libération au cours de la deuxième partie de l’année 2007, aux alentours d’octobre. Il s’agit d’un abus de pouvoir. L’article en question concernait la Biennale de Lyon.
L’un des artistes invités à cette Biennale, Saad Afif donc, revient sur un article que Debailleux a écrit sans aucune conscience professionnelle et sans avoir vérifié ses sources.
Saad Afif a choisi de céder son étage d’exposition et son rôle de curator à la Zoo Galerie de Nantes. Un lieu associatif et non une réelle galerie. Un laboratoire, un lieu fédérateur dans lequel un certain nombre d’artistes ont puisé leurs forces et ont montré leurs premières expos… et ont ensuite bénéficié d’un suivi à travers d’autres expos et des articles de presse. C’est la bande de Nantes tout simplement. Et si Saad Afif leur a rendu hommage, c’est son histoire. Il faisait ce qu’il veut de sa carte blanche. Mais que l’on aille pas sans cesse méler à tout cela des histoires de gros sous là où il n’y en a pas.
Et là, presque 6 mois plus tard, après le succès de l’expo de Saad Afif donnant carte blanche à la Zoo Galerie, on en est à compter les points. On se provoque en duel. Il est question de la responsabilité du journaliste.
C’est signe que le milieu de l’art commence à retrouver la santé toutes ces critiques, ces battles & co.
Quoiqu’il en soit, dans un premier temps, j’ai naturellement pris la défense du journaliste parce que je pars du principe que sans critique, il n’y a pas d’artiste et aussi qu’on n’a pas besoin de public pour remettre les choses au clair et régler ses comptes… mais je n’avais pas entendu le fond de l’histoire.
Puis surtout je me suis rappelée à moi-même : finalement, je n’ai jamais été du côté des journalistes mais toujours du côté des artistes. Et même pire que cela, plus que les artistes, je suis du côté de l’art.
Et dans ce cas précis, il est difficile de soutenir le journaliste de Libération : il n’aide ni l’art ni les artistes avec un journal plein de faits non vérifiés et de médisances.
Quant à Saad, il a finalement joué le jeu avec les armes qu’il avait à sa disposition. Elles étaient maigres mais sans se cacher derrière Ça se passait au sein d’un public très réduit face à l’énorme lectorat de Debailleux.
Verdict : le jury… déclare… Henri-François Debailleux… coupable.
On ne peut pas dire que c’était le plus beau duel artistique de ma vie, mais c’était nécessaire.
Quant à moi, à la fin de la partie, je n’avais qu’une envie : improviser une belle bataille de polochons avec Morphée ! No one is innocent… et surtout pas lui !
Anaïd Demir
mercredi 29 juillet 2009
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