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******************************* Anaïd is… Anaïd forever ******************************* Née à la Saint-Hubert patron des Chasseurs, élevée à l'acide, gouvernée par Mars et Pluton, habitée par le démon de l'écriture, rongée par la passion

mercredi 29 juillet 2009

Episode 28

Vendredi 19 septembre 2008

J’avais loupé cette grande expérience à Paris lors du vernissage de « Dyonisiac » : une performance de Kendell Geers qui venait court-circuiter en douceur le cocktail d’une exposition collective!
Ce soir-là, le champagne coulait à flot dans des coupes que les invités les plus fétichistes et les plus cleptomanes n’ont pas hésité à cacher dans les poches de leur pantalon ou dans le creux de leur soutien-gorges… et à ramener ni vu ni connu à la maison tel un trophée. Et le trophée en question trône sûrement encore avec noblesse sur la cheminée ou dans les étagères de leur salon, entre un paquet de bonbons Celador et un catalogue d’art.
C’était quoi au juste ce trophée? Juste une coupe de Champagne pas comme les autres.
On était en mai 2005 à Paris… et 3 ans plus tard, en direct du Musée d’art Contemporain de Lyon, j’ai l’occasion de remonter le temps et de vivre cette amusante expérience qui donne au champagne un gôut insoupçonné.
Cette fois, on est au vernissage d’une exposition personnelle de Kendell Geers… une rétrospective irrespecteuse intitulée « IrrespeKtiv » : avec un K comme Kendell, et un K comme dans « punK » aussi d’ailleurs ! Les coupes de champagne de ce cocktail très étudié avaient été ni plus ni moins moulées sur le sexe de l’artiste. Du coup, Kendell Geers était sur toutes les lèvres des gens de l’art présent au vernissage! Et j’imagine que c’était jouissif pour lui! Une blague de potache qui, même 3 ans plus tard, garde encore toute sa teneur.

Et d’entrée, si le Champagne n’a pas fait perdre le Nord, on perd ses repères dans un labyrinthe fait de miroirs au sol et de parois de barbelés. On a plutôt intérêt à savoir où on met ses doigts et à éviter de trébucher!
Toute en tension, l’expo de Geers est évidemment un appel à la révolte voire à la Révolution…
Et dans le genre révolutionnaire, l’artiste a falsifié d’emblée sa date de naissance : il préfère la situer en Mai 68 !
D’ailleurs ce Sud-Africain anti-Apartheid assume avec talent son identité d’Afrikaner originaire de Hollande. Son autoportrait n’est ni plus ni moins qu’une arme blanche improvisée : un goulot de bouteille de bière!
Evidemment, les matériaux qu’il utilise dans ses installations sont ceux d’une révolution sauvage : des tessons de bouteilles de bières, des goulots tranchants, des barbelés et autres… sexe, idéologie, politique et religion sont pris en otage dans ses œuvres qui suscitent, quelle qu’elles soient, des réactions.
Par exemple, dans une étroite salle cruciforme, on trace entre une série de sacs mortuaires suspendus au mur les uns à côté des autres. Sous le néon, on se sent pris à la gorge par l’odeur entêtante du plastique. Tout neufs, en rang d’oignons, les sacs semblent attendre les cadavres avec imaptience.
Et non seulement il y a de la violence contenue et des tensions dans cette rétrospective au Musée d’Art Contemporain de Lyon, mais en plus, les températures montent sévère. Ne serait-ce qu’avec le « Monument pour un Anarchiste inconnu » : sur un socle de béton serti de tessons de verre acérés, trône une carcasse automobile retournée. Encore en flammes , l’innocent bolide semblent avoir été incendié par des vandales quelques minutes plus tôt!
Et dans une société dans laquelle « la vérité, le désir, la passion et l’anarchie ne sont plus que des noms de parfum », Geers répète le mot « Fuck » à l’infini jusqu’à le vider de son sens. Il en fait un motif abstrait qui adhère aux murs et à toutes sortes de sculptures ou de squelettes !
On ne ressort pas reposé d’une expo de Geers… mais depuis quand l’art est-il reposant ?

Même quand on a l’impression de se reposer, même quand une expo prend des airs domestiques, nous accueille avec des fauteuils profonds et des tapis persans, des bibelots, des chandeliers et des lustres… mais aussi des étagères de revues à feuilleter tout allongé… il n’est pas dit qu’on sorte indemne de l’aventure! La violence peut se lover dans les plis d’un chaleureux velours, se perdre dans le moëlleux d’une moquette ou les renflements d’une boiserie.
C’est un peu ce qu’il se passe quand on ressort de l’expo perso de John Armleder au Centre Culturel Suisse. Révolutionnaire… peut-on plus ? Il repousse un peu plus les limites de l’exposition!
On ressent là une sorte d’ivresse esthétique. On ne sait pas bien si tout ce luxe apparent, ce baroque à outrance, ce rococo rutilant, ces tentures veloutées et ce confort outrancier nous étouffe ou nous soulage. Les deux peut-être ?
Le premier bonheur, c’est qu’on pourrait subitement se sentir chez soi dans cet espace d’art… mais peut-on vivre dans un intérieur si chargé quand on est en quête de « Less is more »?
On arrive, et une tablée d’une quinzaine de convives s’étend face à nous. Le couvert est dressé, les chandeliers n’attendent que l’étincelle d’un briquet pour enflammer la soirée, et le sanglier est sans doute déjà au four !
On pourrait s’installer mais on veut en voir un petit plus avant.
On jurerait que le maître des lieux, dans la pièce à côté, va nous accueillir… mais personne ne vient.
Etrange sensation. Pour un peu, on pourrait se prendre pour Boucle d’Or et avoir le sentiment de revivre ce moment où elle débarque dans une maison vidée de ses occupants mais encore empreints de leur présence. Drôle de vertige.
Et les inévitables cartels qui indiquent que l’on se trouve dans un lieu consacré de l’art ont disparu. A la place, on trouve des tas de bouquins d’art, des magazines qui, si on veut bien se donner la peine de se vautrer dans ce divan, nous en disent long sur l’artiste -John Armleder- et son invité -le décorateur Jacques Garcia. Garcia est un de ces personnages dont tout le monde connaît le travail sans le savoir. Parce qu’il a participé à des tas de grands projets : la déco de l’Hôtel Costes, l’amènagement du Musée de la Vie Romantique ou du Fouquet’s, de Ladurée… ou de Casinos à Enghien, à Cannes, Las Vegas ou Trouville. Et aussi la scèno d’expositions d’envergure.
Et là, alors qu’Armleder a, tout au long de sa carrière, joué sur cette frontière ténue entre art et décoratif, au Centre Culturel Suisse, il nous met finalement face à la réalité. Le nez dedans. On se met alors à la place de ceux qui achètent un Koons bleu pour aller avec le canapé du salon.
Et quitte à faire dans le conceptuel et déléguer la fabrication de l’expo à des artisans et autres corps de métier… Armleder fait de l’exposition entière un ready-made. A moins que Garcia lui-même ne soit un ready-made à lui tout seul. A moins que Garcia = Armleder, et Armleder = Garcia. Du coup, art = décoration = art. Après tout, l’art n’est pas fait pour les musées mais bel et bien pour occuper les intérieurs, parfois même au même titre que cette commode Louis XV et ce tableau façon Renaissance… bref art=décor= mobilier= mise-en-scène !
Impossible de ne pas penser à notre Marcel Duchamp adoré et à Jarry qu’il citait: "Arrhe est à art ce que merdre est a merde."
Armleder, quant à lui, encore une fois, il nous a bluffé. Il nous a piégé. Au jeu de nos idées gigognes, au jeu de la fiction ou de la réalité, de la profondeur et de la superficie, de l’abstraction ou de la figuration, du conceptuel ou du formel, du beau ou du laid… au jeu de nos contradictions et paradoxes esthétiques, il nous a eu… et une fois de plus en beauté ! L’art, on vit avec de toute façon.

Et d’ailleurs, j’ai une équation à plusieurs inconnues qui me vient subitement à l’esprit : si, et seulement si, j’étais collectionneuse… et, si, et seulement si, j’étais un peu clepto sur les bords… et si, et seulement si, j’étais par on ne sait quel miracle en possession d’une coupe de Champagne dont les formes reprennent l’organe sexuel d’un artiste contemporain qui nourrit un gôut certain pour la révolution… où la rangerais-je? Probablement sur une étagère, entre deux bouquins d’art et un paquet de bonbons au gôut d’illusion !
Je n’oublierai pas de rajouter la mention : « Honnêtement volé lors d’une performance dans un lieu public ».

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