Jeudi 15 octobre 2009 (suite)
(…)
Bon, bon… et sinon, c’est mon premier jour à Londres et c’est aussi le premier jour d’une sorte d’enfermement volontaire ou en tout cas d’isolement dans une boîte installée en plein dans le green de Regent’s Park.
Si on réfléchit, c’est tout de même aussi ça Frieze. Pas un night club mais un art club.
On est le 15 octobre… et c’est aussi la date choisie par Artus pour s’enfermer dans une boîte. Une vraie boîte en carton adaptée à sa taille. Je suis donc en connexion avec lui à travers un échange franco-britannique télépathique.
Tout comme moi, Artus est dans un temple de la consommation : le Citadium/Printemps, rue de Provence à Paris.
On n’y vend pas tout-à-fait le même genre de choses qu’à Frieze, mais bon… on y vend quand même des produits, on y fait des promos et des ristournes, on y a le sens du spectacle, il y a une machine à CB si jamais vous ne pouvez pas payer en cash. Et il y a aussi une cash machine.
Si on ne veut ou ne peut rien acheter, pas de problème, on peut aussi s’y rendre juste pour le plaisir des yeux et des animations. Se baigner dans l’atmosphère.
Frieze est une foire, avec tout ce que cela comporte de phénomènes de foires, de freaks… on peut y voir des hurluberlus qui ne trouvent rien d’autre à faire pour attirer le regard sur eux que de se déguiser, ils sont prête à tout pour qu’on les regarde et qu’ils se prennent un instant pour des œuvres d’art ou des sculptures vivantes. Prêts à se mettre n’importe quoi sur la tête ou sur la cul du moment qu’on se retourne sur eux. C’est parfois de l’ordre de la thérapie. Parfois c’est juste beau, juste, réussi… On y trouve des instants de grâce comme cet être totalement atemporel en costume de velours, qui posté sur un stand joue sa partition au violon. Totalement absorbé. Sourd et aveugle à ce qui l’entoure. Habité par sa propre musique. Impassible et anachronique. Plus qu’une image. Parfois, c’est une vraie parenthèse artistique… mais c’est rare. La plupart du temps ça reste des phénomènes de foire.
Alors que certains s’ingénient à infiltrer du quotidien dans l’art, Artus injecte de l’art dans une boutique, un grand magasin. Il nous demande presque de le retrouver si on l’ose.
Il passe deux semaines enfermé au Printemps.
Injoignable par tél, mail, mer, air… il a confié ses objets de communication à des proches censés communiquer entre eux, buzzer sur sa présence fantomatique errant dans un grand magasin labyrinthique 15 jours durant.
Du 15 au 30 octobre 2009. Au 104 rue de Provence, de 10 h à 20h du Lundi au samedi « à l’exception du Jeudi ou le magasin ferme à 21h, et du Dimanche ou je me baladerais dans Paris. » ajoute-t-il.
« J’arriverai vers 9h50 vêtu d’un costume blanc, au 104 rue de Provence et en repartirais vers 20h10. La boîte fait 0,90 x 0,90 x 1,90 m et est placée horizontalement non loin de la vitrine ou se trouve la peinture « Consumérisme ».
J’y amène tous les jours le journal « Le Monde », et je dors sur le matelas sur lequel dormais ma mère, avec une couette, deux oreillers, un réveil, des boules Quies, un réveil, une lumière, un stylo et un carnet de notes. Trois bouteilles d’eau, dont une vide. (…)»
La bouteille vide, c’est pour… uriner ?
En même temps, en relisant toutes les conditions de son incarcération volontaire, je me pose un tas de questions sur ces réelles motivations.
Il y a cette contradiction entre s’exhiber et se cacher, s’exhiber tout en se cachant, se cacher tout en s’exhibant. Artus est une rayonnante terre de contradictions de toute façon. Donc, il prend un rayon de lumière, un rayon du magasin, une tête de gondole tant qu’à faire, pour s’y cacher. Jouer entre présence et absence.
Je ne peux pas m’empêcher de me demander pourquoi un artiste, c'est-à-dire quelqu’un qui n’a volontairement pas d’horaires tant sa discipline personnelle dépend de ses désirs et de ses pulsions créatrices… comment un artiste décide-t-il subitement de s’imposer des horaires rigides et inflexibles. Presque des horaires de bureau. Etonnant pour un artiste secrètement réfugié dans un temple de la conso pour y créer.
Je sais que la création a besoin de cadre et de contraintes pour se dépasser, se transcender. Mais à ce point, respecter des horaires de fonctionnaire, ça me dépasse. C’est un luxe que je n’ai pas réussi à m’accorder trop longtemps.
Et je me dis que ça donne au Printemps -une bien belle saison d’ailleurs- des airs de résidence artistique masquée. Un lieu de méditation qui donnera lieu chaque soir à des heures de réflexion et d’écriture. De création. En pleine période de crise, c’est finalement un lieu comme un autre pour travailler et rêver, pour créer. Un bureau et un atelier du même coup dans un lieu anti-sacré.
Tout ça pour une « Installation-performance »… ce qui veut dire quelque chose qui fait d’Artus un hybride, à la fois sujet et objet. Une « sculpture vivante » ? Un Gilbert & George à lui tout seul ? Un « personnage à réactiver » ? Un personnage tout court.
Ce qui expliquerait qu’il soit en tenue de gala pour y aller. En même temps, il enfile son costume blanc comme d’autres enfileraient leur combinaison de travail.
Mais plus qu’un ouvrier de l’art, Artus évoque plutôt Beuys et son expérience avec le Coyote de 1974. Il s’agit d’un homme -Josef Beuys- qui s’enferme avec un coyote toute une journée durant, apprivoisant la bête sauvage, installant un système de respect mutuel plutôt qu’un rapport dominant-dominé. Mais quel est le rapport ici ? Qui est la bête sauvage ? Quel bête sauvage Artus tente-t-il de dompter ? Est-ce sa propre nature qu’il met ainsi au défi?
Et chaque jour, il se rend à sa résidence en costume blanc.
Pourquoi blanc ?
J’ai eu comme l’impression qu’il gardait de jour en jour 15 jours durant le même « bleu de travail » qui est en fait blanc, comme pour mesurer son non-labeur à la hauteur de sa non-activité. Ou bien est-ce une réelle activité immobile ?
Avant d’aller chaque soir s’effondrer de fatigue dans son atelier d’écriture et de travail perso dans le Marais. Sur le matelas de sa mère disparue il y a peu.
Mais pourquoi le matelas de sa mère. Pourquoi le préciser dans le communiqué ? Pourquoi rejouer cette séquence ? Quel était le rapport avec sa mère exactement ? Elle est très présente dans son œuvre. Au centre de son œuvre, de plus en plus. D’autant plus depuis sa disparition je crois. Est-ce une manière de faire son deuil ? De la faire revivre ?
D’ailleurs, ça a sûrement un rapport ave « L’Art Posthume », le groupe artistique dont Artus est le confondateur avec deux autres artistes dont un photographe, Daniele Tedeschi.
Le trio a même signé un manifeste dont je n’ai pas forcément encore compris toutes les subtilités. J’attends qu’il m’explique une fois de retour à Paris.
Mais j’imagine que sa mère est l’inspiratrice de ce « mouvement » artistique s’il en est. Et surtout je pense que sa mère était une « artiste sans œuvre »… dont l’unique création était une œuvre d’Artus !!
Ça paraît de plus en plus clair. Psychanalytiquement parlant en tout cas.
En attendant, je quitte ma boîte de Regent’s Park pour prendre l’air d’une autre boîte : un tour chez TopShop à Bond Street me changerait-il les idées ?
Mais non mais non… j’ai encore à faire !
J’entraîne Antoine sur Bond Street, Oxford Street… onward, on a l’expo Blair Thurman à aller voir chez Alexia Goethe. On en profitera pour faire un saut chez Sadie Coles qui présente Sarah Lucas. Et puis, dans la vitrine de je-ne-sais-plus-qui, on pourra admirer une vitrine de Baldessari qui a son expo perso à la Tate en ce moment.
Ensuite, Antoine m’emmène dans une ambiance frenchy : Sophie Calle à la White Chapel. Est-ce que ce sera pour elle une rétrospective en forme de lifting ?
mercredi 21 octobre 2009
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