Dimanche 15 novembre 2009
Réveil à Vassivière. Enchanteur et serein. Face au lac et ses couleurs pastel qui vont du bleu du ciel au gris clair, en passant par la couleur sable du sable. Je veux bien écrire des romans dans cet hotel au bord du lac. C’est tout ce dont j’ai besoin pour me ressourcer.
A midi, retour au centre, toujours face au Lac, mais de l’autre côté, sur une autre rive. C’est la conférence de Serge Spitzer, l ‘artiste aux 100 000 balles… de tennis qui méritait tout de même que je m’intéresse un peu plus à son œuvre. Le texte qui accompagne l’expo nous dit que cet artiste d’origine Roumaine est considéré comme l’un des artistes les plus importants de sa génération. Ah oui ? Il a participé à la révolution artistique de la fin des années 60… mais comment se fait-il qu’il ait à ce point échappé à ma curiosité illimitée?
Nilgün est déjà là et je reconnais bien là une certaine éducation : avant que la conférence ne démarre, elle prépare le thé et a apporté des lokoums aux noix qu’elle sert à tous les gens présents. Impossible de résister à l’appel de ces succulents lokoums…
Et d’ailleurs, la conf démarre sur leur relation d’artiste à curator qui date de 15 ans. Elle l’avait invité sur un projet dans les années 90 : sans doute durant la Biennale d’Istanbul en 95 d’ailleurs… et elle l’a récemment réinvité pour un projet in situ et assez magique… car finalement, il en dit long sur la relation que la Turquie a avec son patrimoine architecturale qui est pourtant de si haute qualité… si on ne laissait pas de magnifiques édifices religieux aller à la ruine et s’effeuiller au fil du temps sous prétexte qu’ils ne sont pas des mosquées ou tout simplement par pure ignorance !
C’est ainsi que Serge nous a raconté avec beaucoup d’humour comment Nilgün l’avait invité à investir une magnifique synagogue située dans un quartier plus que pauvre et dont la construction pouvait se situer entre 350 ou 500 de notre ère. Une partie de l’histoire de notre civilisation est dans ces murs et pourtant, cet edifice désaffecté qui devrait être classé patrimoine historique par l’ONU est purement est simplement morcellé. Loué par parcelles, on y trouve là un billard, ici une fabrique de caoutchouc, là une fonderie d’aluminium…
Et Spitzer est justement en pelin dans ces questions de morcellement, la fragmentation et donc, pour aller plus loin dans l’analyse, j’imagine d’identité, et de territoire dans son travail.
Il lui redonne toute sa noblesse par un simple geste qui nous rappelle celui du Parc de Vassivière. Plutôt que de balles de tennis, il tapisse tout le sol de milliers et de milliers de billes de verre qui lui redonne un peu de son aura mystique et la font scintiller de mille feux.
In situ. Espace public. Exploration de l’espace. Ses œuvres mettent finalement en valeur les espaces qu’il investit… tout en modifiant notre expérience. Notre manière de les arpenter nous donnent une autre vision de l’espace. On redécouvre les lieux.
C’est un peu ce qu’il se passe avec l’œuvre qu’il a installé dans le bois des Sculptures de Vassivière, sur le plateau de Millevaches… Millevaches ou un deleuzien « Mille plateaux » d’ailleurs ? Qui sait ! quoiqu’il en soit, d’un coup, je reconsidère cette œuvre intitulée « Nature Morte/ Still Life ».
Et l’envie de repartir avec une balle me traverse… mais c’est trop tard ! Je dois partir, avant même la fin de la conférence… parce que j’ai choisi de prendre un train plus tôt pour regagner Paris et ne pas louper Philippe Katerine au Centre Pompidou. Il donne un tout petit concert gratuit et spécial arty dans le cadre du Nouveau Festival à 19h ! Pour rien au monde je ne voudrais louper ça et j’ai très peur que la salle prévue à cet effet ne soit prise d’ assaut… elle n’est pas d’une énorme capacité.
Bref, je dois partir, je dois m’en aller… et je n’ai même plus le temps de filer dans le bois des sculptures voler honnêtement une balle… pour participer au bel esprit de cette œuvre dont je ressens la réelle générosité. La mort dans l’âme, je file dans les bureaux chercher mes affaires… et là, deux balles trônent sur un bureau et me font les yeux douc. Comment résister ? Je sais qu’on me pardonnera ce geste : je ne fais que voler un voleur en fait… et puis c’est un larcin permis que la personne qui occupe ce bureau pourra ratrapper en allant rechercher une balle, tranquillement, à deux pas de son bureau… alors, je m’en empare sans rougir et je quitte Vassivière en espérant bien vite retrouver ces couleurs, ses bois, son lac et sa sérénité!
XXXX
Chaud-froid. Douche écossaise.
Est-ce que je passe d’un extrème à l’autre ?
Après avoir baigné dans la quiétude de Vassivière, me voilà dans l’excitation d’un concert Parisien à Beaubourg. C’est l’émeute dès l’entrée, dans la file d’attente. Et puis Philippe Katerine finit par apparaître sur cette scène conçue par Xavier Boussiron entre autres et dont la vocation est sa proximité avec le public…
On a l’impression d’être avec des potes qui improvisent un spectacle dans un mini-cabaret… et Katerine débarque en queue-de-pie et nœud pap’… bref, dans son costume d’adepte du décalage et de la dérision. Il s’installe et ses chaussettes nous mettent au parfum… Est-ce ACDC ou JCDC qu’il faut lire. Je parie pour Jean-Charles de Castelbajac qui s’est inspiré du logo du groupe des 80’s avec son petit éclair… mais je rêve qu’elles datent d’il y a longtemps et qu’elles soient de réels produits dérivés des 80’s à l’effigie du groupe… ACDC ! Des chaussettes vintage !
Comme toutes ces chansons qui sont logées dans notre mémoire collective et que Katerine a décidé de réveiller. On commence en douceur avec la berceuse de Henri Salvador, « une chanson douce »… puis très vite, il nous entraîne dans ce qui ressemble à un one-man-show musical. Ses blagues et commentaires introduisent les morceaux… dont il s’est tant approprié qu’il les fait siennes. Ça devient une matière qu’il forme et déforme à l’envie, mâche comme un chewing-gum, suce comme un bonbon ou fume comme un petit juin.
Du coup, « Capri, c’est fini » de Villard n’a pas grand chose de mièvrement romantique, on a plutôt le sentiment de faire un voyage dans le temps et d’être monté sur le cheval de bois d’un manège désaccordé. Et il brode ses propres histoires par-dessus les morceaux. Ce sont des reprises libérées, décomplexées, pulsionnelles, comme on rêverait tous d’en faire mais qui demande une maîtrise qui n’est pas donné à tous… evidemment.
Alors que le « C’est la ouate » de Caroline Loeb me renvoie à une ambiance cotonneuse et que j’ai des visions de petit lapin blanc… d’un coup, je réalise ! Je sais à qui me fait désormais penser Katerine avec ses rouflaquettes et calvitie, son queue-de-pie, son nœud pap’ et son sourire dingue… Merde ! Il est déguisé en l’un des idoles de notre jeunesse, il rend hommage à Feu Garcimore, notre magicien du mercredi qui faisait apparaître et disparaître un tas de trucs sur les plateaux télé, avec son haut-de-forme et sa baguette… dont des lapins blancs, évidemment !
Et quand il entonne « Partir un jour » des « 2B3 », je ne peux pas m’empêcher de penser qu’on est dans les pages de son inconscient et que peut-être il nous livre une partie de son mal-être du moment. Un côté dépressif ? Peut-être , en tout cas si bien employé et détourné qu’il ne devrait pas rester trop longtemps aussi désabusé qu’il a l’air.
On passe des « 2B3 » à Maurice Chevallier sans problème et il a de plus en plus l’air d’un petit garçon prêt à faire des conneries pour attirer l’attention de sa maman. C’est fou mais c’est une sorte de comédien qui se dégage de tout ce show… et j’adore cette histoire de vicomte qui rencontre un autre vicomte… et qu’est-ce qu’ils se racontent ? des histoires de vicomte ! ça donne envie de replonger dans ce répertoire que je connais mal, voire très peu finalement !
C’est plein d’énergie, d’entrain de jeux de mots… à se demander si on ne va pas très vite le redécouvrir et le réhabiliter dans nos années 10 ! Car la plupart des gens sont frappés d’amnésie mais le recyclage va bon train… et finalement, on n’a pas encore tapé dans Maurice Chevallier.
Par contre, ça fait 10 ans au moins que je n’ose plus dire que j’ai été élevée au biberon de Gainsbourg, que je recopiais toutes les paroles de ses chansons à partir de 14 ou 15 ans, que je connais depuis toujours toutes les paroles de ses chansons et que je les bois et les rebois… mais désormais en cachette. Pourquoi ? Parce que c’est devenu d’un commun d’aimer Gainsbourg que ça vous met au même niveau que n’importe quel mouton qui se met à écouter du Gainsbourg parce que c’est tendance et que d’autres ont jugé ça de première ordre.
Moi, je préférais l’aimer et l’écouter haut et fort quand tout le monde disait que c’était un gros dégueulasse, j’avais du coup l’impression que son génie m’appartenait à moi seule qui avait su le déceler et l’écouter à tous les degrés.
Et pour en revenir à Katerine, lui aussi a du génie… même quand il fait des reprises finalement. Il s’empare des morceaux, en fait autre chose… et le ridicule ne tue pas quand on a du génie. Du coup, il peut aussi se permettre de jouer avec cet horrible morceau « A la queue leu leu », enchaîner sur Peter et Sloane que je détestais, ou le « Coup de folie » d’un Thierry Pastor oublié… « confidence pour confidence » de Jean Schulteiss est un vrai plaisir à jouer, je m’y suis déjà amusée. Et avec le premier tube de Mylène Farmer : « 1. Maman a tort. 2, c’est beau l’amour… », on retombe tous en enfance ! Est-ce que tout le top 50 des eighties et aussi les gold des seventies va y passer ? Même Carlos, bordel ! et ça passe très bien !
On a vraiment l’impression que rien ne l’arrête que ça pourra encore durer des heures… Non-stop music. Essaie-t-il de nous écœurer ? Est-ce qu’il est en transe et ne veut plus en finir ? Est-il détraqué comme un vieux juke-box ?
Le « J’veux pas rentrer, j’veux pas rentrer chez moi… , j’veux pas rentrer chez moi seule » donne d’ailleurs un peu le ton. C’est comme un encouragement au délire ! Ne plus en finir.
En tout cas, en sortant de là… je suis pleine d’énergie et d’enthousiasme ! Du coup, j’enchaîne sur « L’Enfer » de Clouzot au MK2 Beaubourg. Psyké et obsessionnel, « La Prisonnière » est un de mes films préférés. Tourné en partie à la galerie Denise René dans les années 60, c’est un bijou de l’Op Art. une manière de filmer picturale et totalement libérée qui n’a malheureusement pas fait école au cinéma. Et là, ils ont retrouvé de vieilles bandes. Les fragments d’un film inachevé, d’un tournage qui est parti à veau-l’eau, qui a complètement foiré… un film inachevé et recomposé des années plus tard. Le rôle principal est étonamment tenue par Romy Schneider !
C’est un bijou chromatique, technique, psychanalytique… un truc totalement à part dont on regrette que Clouzot n’ait pu finir. On a le sentiment que les sensations sont retranscrites épidermiquement par la caméra. Un vrai bonheur pour les yeux. Un délire obessionnel qui raconte la jalousie de l’intérieur, nous la fait ressentir comme un puits sans fonds dans lequel on a peur de ne pas s’engager mais dans lequel on peut se laisser tout de même sombrer. Comme le sommeil dans lequel je ne vais pas tarder à plonger avec délice.
mardi 2 février 2010
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