Samedi 14 novembre 2009
Suites d’arbres et de lacs avant d’arriver à Vassivière. De la chlorophylle à n’en plus finir. Mon Ipod est en mode aléatoire et se met lui aussi au parfum. A croire qu’il a capté l’atmosphère. Au creu de mon oreille, Robert Smith me sussure des mots de circonstance…
« A Forest » m’accompagne dans mon plongeon verdoyant.
« I hear your voice
Calling my name
The sound is deep
In the dark
I hear a voice
And start to run
Into the trees »
« Suddenly I stop
But I know it’s too late
I’m lost in the forest
All alone
It’s always the same
I’m running towards nothing
Again and again and again and… »
C’est un morceau qui fait partie de « Seventeen seconds »… on a bien mis 17 minutes à traverser cette atmosphère boisée pour arriver sur cette île imprenable, Vassivière, où un centre d’art a poussé à la fin des années 80 (1989) dans un paysage onirique, près d’un lac artificiel, à deux pas d’un château du XVIIème siècle ayant appartenu aux Vassivière… une famille à laquelle on peut rendre hommage.
A peine arrivés, on chausse des bottes en caoutchouc si on a de la chance d’en dégotter une paire et même si on n’en a pas… on fonce quand même droit dans les arbres et dans l’herbe mouillée.
Peu importe l’humidité de l’air… on s’oxygène !
Fraîcheur intégrale. SPA naturel. Je sens que mon épiderme se régénère, que mon teint s’éclaircit, que mon humeur se fluidifie.
On marche on marche on marche… sur les pas d’un artiste. On le suit en file indienne. Notre petite colonie défile sagement entre les arbres jusqu’au bord du lac où finalement on s’arrête.
On lève le nez en l’air, et entre le ciel et les branches les plus hautes d’un chêne nous apparaît une plaque de marbre. Massivement minérale. Imposante. Réfugiée là, tout en haut de cet arbre dont le tronc forme un V, une œuvre rectangle qui doit peser un certain poids.
Comment a-t-elle pu arriver là ? Elle tient entre deux branches, comme une cigarette tiendrait entre l’index et le majeur et on imagine que si ça ne chute pas, alors l’œuvre évoluera avec la nature, entourée par les branches, elle finira peut-être par s’encastrer naturellement dans l’artbre. C’est une forme de Land Art !
Une œuvre d’Oscar Tuazon : « traveller ? Néo techno… bio… géologue… arte Povera… Richard Serra… » sont les premiers mots qui me viennent en cascade en le voyant, là au cœur de ce parc, près de son œuvre. Tatoué, le cheveu long… le regard blue jean’s ou bleu de prusse… pas de sourire.
C’est l’ancien assistant de Vito Acconci. Entre autres.
Parisien d’adoption… charismatique et étonnant avec sa chemise de bûcheron, au milieu des bois, son sweat, son jean, sa casquette… tout droit sorti d’un Larry Clark ! US, Californien sans aucun doute…
Après s’être recueilli sur son œuvre en plein air, retour en file indienne, comme une procession, vers le centre d’art. Dans un lieu à l’abri du vent.
Dans la nef… ça sent le ciment frais, et d’un coup, le titre de l’exposition d’Oscar -« Plie-le jusqu’à ce qu’il casse »- prend tout son sens !
Son premier dispositif ressemble à une architecture non achevée… et aussi majestueuse que de bric et de broc, l’œuvre nous donne le sentiment qu’elle pourrait à tout moment céder.
Une apparente fragilité dans ce ciment qui a l’air de ne pas avoir assez séché, qui se fissure par blocs par endroits… on est dans cette tension, cette angoisse que cette immense construction de ciment de plusieurs tonnes pourrait céder à tout moment.
L’artiste l’a voulu ainsi. Tout est calculé au millimètre près pour ne pas céder évidemment, mais pour nous mettre dans ce malaise, nous situer dans cet entre-deux spacial.
De la résistance pour des matériaux bruts, de la majesté pour des sculptures monumentales réalisées à partir de presque rien, des matériaux brut…
Cest une sorte de Richard Serra, un Américain qui ferait donc de l’Arte Povera à l’Americaine… un traveller chic. Un bûcheron dandysé.
La dernière salle qu’il occupe a même quelque chose de christique. Elle aspire au silence avec des œuvres qui forment des croix, nous entourent, nous invitent à l’introspection car nous mettent en phase léthargique sans pour autant nous ennuyer.
A contre-courant de Warhol, j’invente « le quart d’heure d’introspection » et je le revendique même. Tous les artistes devraient songer à une salle introspective où le visiteur est relié au divin, entraîné dans une bulle de silence et de calme.
Ça nous rappelle que l’art à de toute façon à voir avec le sacré même si on s’active parfois à l’oublier.
Imprégnée d’energie, je repars.
On ne tient pas longtemps en place dans l’architecture en enfilade et en escalier de vassivière. On ressort, et d’ailleurs, il y a tant d’œuvres en extérieur.
Cette fois on se rend sur un terrain, dans un autre coin de l’ïle. Toujours sur ce qui s’appelle le « plateau de Millevaches » !
Là, on découvre une installation qui se confond avec l’espace. Pas de caches mais des dizaines de milliers de balles de tennis disséminés dans l’herbe. Vertes sur l’herbe verte. Discrètes mais bien présentes. Elles jouent sur l’absence/présence. J’entends une histoire comme quoi elles ont été imprimées d’un dessin très spéciale à l’encre indélébile.
Puis ellles ont été alignées d’une manière très spéciale. C’est mathématique. Scrupuleusement logique.
Et ce sont bel et bien des hommes qui ont disposé là ces balles de tennis plusieurs journées durant. Selon les plans de l’artiste, Serge Spitzer. C’est à se damner. A-t-il voulu les rendre fous ? Non, on m’assure que ce n’est pas une pièce sadique, c’est même vraiment généreux… volontairement et délibérément et généreux. D’ailleurs, on nous souffle qu’on peut bien évidemment avoir envie de « voler honnêtement » une balle… et que c’est même un geste qui fait partie de la pièce. Comme un Gonzalez-Torres en quelques sorte. Mais évidemment, c’est aussi une reponsabilité en soi : laisser l’œuvre se fondre dans la nature, se disperser, s’autodétruire, se laisser aller aux intempéries, en emporter avec soi un fragment… quitte à ce que son dessein d’origine ne soit plus visible.
Encore faut-il avoir envie d’emporter un fragment de l’œuvre avec soi. Et que voudrait dire cette balle à elle seule ? Bof, je ne suis pas partante. Je n’ai aucune raison valable.
Et puis là, sur le coup, sous la pluie, je ne suis pas convaincue… je me casse sans même avoir envie d’en apprendre plus sur cette install et la carri ère de l’artiste. Et puis j’ai froid.
Sur le chemin, je croise une femme brune au sourire si familier que j’ai presque le sentiment d’être en présence d’une apparition. J’ai le sentiment de la connaître, elle pourrait être de ma famille… et bizarrement, j’ai envie de lui demander si elle est réelle tant elle me fait un effet étrange.
Mais je me retiens. Et cette phrase m’occupe sur tout le chemin, comme une ritournelle à inventer sur place : « Are you real ? Are you real ? Real ? », je laisse les mots résonner en moi.
Ils m’accompagnent jusqu’au centre. Jusqu’au Phare dont j’emprunte l’escalier hélicoïdal pour monter tout là- haut là-haut. C’est là que Cyprien Gaillard il y a quelques années avait tiré son feu d’artifice, en intérieur, que l’on suivait en extérieur et en pleine nuit. C’était un 14 juillet, impossible de ne pas le noter !!!
Cette fois, c’est surtout l’occasion d’admirer dans le calme et au grand jour la vue sur l’Ile, à l’abri de tout, perché dans les hauteurs avec Fred. Vue magique sur l’Ile. Envie de plonger dans la clarté du lac, mais juste mentalement. D’ici, on peut voir, non pas les poissons du lac mais certaines œuvres et surtout « La Licorne Eiffel » de Yona Friedman. On ne peut comprendre que d’ici ce que l’artiste a tracé dans l’herbe du Plateau.
D’en bas, c’est sans grand intérêt, juste assez enigmatique pour que l’on ait envie de découvrir la clé de l’œuvre en grimpant en haut du Phare.
Il y a donc une double lecture et la version terrestre ne vaut pas la version aérienne. C’est la même raison qui fait que j’adore les décollages et que je prend les hublots des avions pour des écrans de cinéma !
Là, en haut, on peut enfin apprécier ce dessin blanc tracé sur plus de 300 mètres et qui est censé être éphémère mais qui persiste parfaitement et résiste aux intempéries. C’est une licorne à tête de femme qui tient dans sa main le centre d’art… tout simplement. Histoire de nous remettre à nos places de petits humains qui ne sommes pas grand chose entre les mains du Divin et dans une perspective mythologique.
Gustave Eiffel était-il limousin ? J’en sais rien mais je ne crois pas.
En tout cas, elle s’appelle « Licorne Eiffel » parce qu’elle a l’envergure de la fameuse Tour, bien sûr ! Un hommage !
Mais les températures ont tellement chuté que, même là et malgré ce superbe panorama, on ne résiste pas trop longtemps à l’appel du chaudron.
Je retourne au sec, prendre une tasse de thé chaud dans la cafète, à l’autre bout du centre, où je suis justement bientôt rejoint par la fameuse femme brune au sourire persistant.
La litanie « Are you real ? » m’avait quitté, voilà qu’elle me revient !
Elle est accompagnée par l’artiste, le fameux Serge, l’homme aux milliers de dizaines de balles… « 20 000 balles de tennis disséminées dans l’herbe » me dit-on. Une géographie.
Entre deux gorgées brûlantes de thé, j’observe la brune-au-large-sourire qui a l’air d’être une proche de l’artiste.
Quand finalement son téléphone sonne… j’écoute sans écouter… j’écoute comme on écouterait une mélodie… et là, c’est moi qui suis sonnée ! Je connais cette mélodie. J’écoute alors les paroles… j’écoute plus précisément. Nooooon ?
J’aurais dû m’en douter. Je suis la seule dans cette salle à comprendre ce qu’elle raconte… et je ne peux pas m’empêcher de me marrer car elle pense que personne n’entend rien au Turc ici au find fond d’une Ile, à Vassivière dans le Limousin ! Mais mes coups d’œil insistants et mes sourires complices la mettent très vite au fait ! Elle a compris que je comprenais et elle en parle maintenant avec son interlocuteur ! C’est si drôle ! C’est une sensation agréablement humaine.
Et voilà comment l’art, même sur le Plateau de Millevaches, peut joliement réunir une Arménienne et une Turque.
Quant à moi je me trouve très bien entraînée. Visuellement du moins, je repère les Arméniens et les Turcs sans forcer, à un je-ne-sais quoi. C’est au-delà de la musique des langues. C’est autant physique qu’une manière de se comporter. C’est aussi un truc que je ne m’explique pas comme un troisième œil ou un 6ème ou 7ème sens.
Et cette femme m’a tout de suite intriguée. Brune aux grands yeux et au sourire chaleureux. Sans oublier le nez.
Mais aurais-je deviné que quelques heures plus tard, je me mettrai à lui parler dans une sorte de langue agglomérée de turc, d’anglais et même d’arménien et puis de Français. C’est très étrange. Je suis comme court-circuitée. L’Arménien et le Turc sont des langues intimes pour moi. Des langues parlées à la maison, en famille exclusivement dans un premier temps.
D’ailleurs, si j’ai entendu parler le turc toute ma vie chez moi, on s’est toujours adressé à moi en Arménien. Il n’y qu’avec ma grand-mère paternelle que je parlais le Turc puisqu’elle ne parlait pas d’autres langues… en dehors de ça, c’est comme si je n’étais pas autorisée à parler la langue de nos ennemis ancestraux.
Quoiqu’il en soit, Nilgün, puisque c’est son nom est un personnage étonnant, au bout de 3 minutes, voilà déjà qu’elle me chante un bout de chanson Arménienne que je connais de l’enfance… et qui dit sur un mode enfantin que dans ce monde, tout et absolument tout n’est que mensonge et illusion. C’est assez vrai d’ailleurs. Mais elle continue en faisant un jeu de mots entre le froid et le mensonge, deux mots proches.
Une femme étonnante donc, Nilgün Mirze… son prénom signifie très poétiquement « le Jour du Nil ». Nilgün avait dans l’enfance une voisine arménienne avec laquelle elle s’entendtait très bien et qui lui a appris des tas de choses. Des mots et des chansons, sans oublier la dégustation de petites spécialités culinaires à base de fruits secs et de miel.
C’est émouvant cette scène. Ça donne de l’espoir, sur fond d’art.
Car evidemment, elle n’est pas là par hasard. C’est une proche de Serge car elle l’a exposé à Istanbul
On a du mal à se quitter, on continue à papoter, à boire du thé, évoquer des desserts armeniens, parler d’art, d’Arménie, de Turquie… pendant que le Soleil se couche et qu’un mouvement vers le manoir, à quelques pas de là, s’opère. C’est là que nous dînerons.
Je me souviens du 03 novembre 2000, j’étais déjà là, dans ce manoir pour le dîner de vernissage de Fabrice Hyber. On venait de sillonner la ville en voiture, pour un rallye, en quête d’un trésor… que mon équipe n’a pas rapporté. C‘était un été indien, la meilleure saison pour visiter le Limousin.
Par contre, je suis loin de Nilgün, elle est en compagnie d’Oscar Tuazzon, un peu plus loin et je me retrouve avec une série d’inconnus à table. Mais les discussions démarrent très vite.
Et à commencer par Xavier Fabre qui très vite nous raconte l’histoire de l’édifice construit en 1989 et dans lequel se trouve le centre d’art. Une architecture qui suit le relief et est donc étagée. Xavier est, avec Aldo Rossi, l’un des deux architectes du centre d’art .
Quant à Emmanuel, à ma droite, il m’apprend que les propriétaires du Château dans lequel on se trouve actuellement, les Vassivière, ont été dépossédés de leur noble château… et le nom du centre d’art et du château est plus qu’un hommage, une trace de leur passage. Une histoire triste. Un plateau où les différentes époques entament un dialogue à travers l’architecture… et notamment dans ce château dont la partie principale date du XVIIè, mais les ailes du XIXè et la tour du XXé. Un mix réussi mais c’est la partie centrale avec sa grande cheminée chaleureuse que je préfère.
C’est d’ailleurs à cet endroit précis qu’Oscar recevra des mains de Chiara, la directrice du centre, un suprenant cadeau : une tronçonneuse.
C’est pas le genre de truc qu’on offrirait d’emblée à un artiste, même s’il a des allures de bûcheron… mais là, apparemment, c’est franchement mérité.
Il paraît que l’usage de cet instrument à fait l’objet d’une blague pendant toute l’installation. Pourquoi ? Parce qu’Oscar adore en « jouer » toute la journée durant, c’est comme une seconde nature chez lui… c’est son outil de travail de prédilection, mais aussi quelque chose qui s’approcherait de l’instrument de musique tant il en a joué et rejoué, comme un jouet, toute l’installation durant !
Entre la cheminée, la chemise à carreaux, la tronçonneuse et tout le reste… On a eu de quoi finir sur une amusante série photo !
mardi 2 février 2010
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